La vie à Saint-Marcel dans les années 60 / 70



   

Au début des années 60, Saint-Marcel vivait de ses quelques petits agriculteurs. On ne parlait pas encore d'exploitants agricoles ni d'éleveurs. Au mieux, ils se déclaraient tout simplement cultivateurs.

 


(Collection Jean-Pierre Guillaume)

 

Au milieu d'eux s'activaient deux petits artisans : un menuisier et un charron.

Pour ce qui concerne les commerces, au début des années 60 il y avait le café qui faisait un peu tout à la fois, cabine téléphonique et épicerie et un petit magasin du type tabac-bazar qui assurait la distribution de bouteilles de gaz et offrait divers articles courants de papeterie, timbres, cartes postales, ainsi que quelques confiseries.

 

Les autres services (piqueuse, tueur, fossoyeur, coiffeur …) étaient assurés par quelques habitants du village, généralement des retraités, qui, au fil du temps avaient acquis des aptitudes reconnues et appréciées de la population.

 

Saint-Marcel s'animait brusquement dès les premières lueurs du jour pour ne s'endormir qu'à la nuit tombée. Alors, les quelques ampoules de l'éclairage public lâchaient leur pâle rayonnement qui, dans les faits, ne faisaient qu'accentuer l'impression lugubre des zones de pénombre. Partout, le calme et le silence à peine troublé par le bruit familier des vaches dans les étables et quelques aboiements des chiens qui se répondaient ou suivaient le déplacement de rares attardés dont les pas raisonnaient au beau milieu des vieux murs en pierres sèches.

 

La nuit durant, les cloches et les comtoises continuaient d’égrener les heures et les demi-heures, comme pour rappeler que le temps n'allait que dans un sens.

 

C'était aussi l'époque ou les saisons étaient généralement encore bien marquées, avec des étés chauds et des hivers rigoureux souvent enneigés, voire même durablement enneigés.

 

L'été, c'était la période des lourds travaux dans les champs et de tous les risques pour la vigne et les cultures. A Saint-Marcel et ses proches environs, les orages étaient fréquents et parfois violents. En quelques minutes ils pouvaient anéantir les efforts d'une année et mutiler durablement la vigne et les arbres fruitiers.

 

L'hiver était plus calme et pour ainsi dire réservé aux activités d 'entretien de l'outil de production, (clôtures des parcs, réfection des matériels, des habitations et des hébergeages etc, etc …) et surtout, il fallait reconstituer les réserves de bois pour les hivers suivants.

 

Mais, été comme hiver, il fallait apporter les soins aux animaux et assurer les deux traites quotidiennes des vaches, l'une tôt le matin et l'autre en fin d'après-midi.

 

Voilà qui laissait bien peu de temps aux familles pour se retrouver ; les hommes, les femmes, les enfants et les plus âgés mettaient la main à la pâte, chacun dans son rôle et chacun à sa place, comme à table au moment des repas. C'est là, et à ce moment là, que se prenaient les décisions, même les plus importantes.

 

Les journées étaient bien remplies, les moteurs " n'étaient pas encore au bout de tous les manches ", mais le travail et plus généralement la vie, allaient encore au rythme des animaux, du jour et de la nuit, et des saisons.

 

Comme la plupart des activités et travaux s'effectuaient en extérieur et que chacun faisait la même chose au même moment et avec les mêmes soucis, le village connaissait une vie sociale plutôt riche qui avait principalement les rues pour scène.
 

Les anciens y conseillaient les plus jeunes, et ces derniers s'appliquaient à donner le petit coup de main utile en retour. Le savoir faire et les traditions se transmettaient ainsi, à ces occasions de simples et banales rencontres, de génération en génération, mais aussi la prudence, pour ne pas dire la méfiance à l'égard des méthodes modernes notamment.

 

C'est ce qui explique qu'encore au début des années 60, les techniques, les méthodes et les outils modernes avaient bien des difficultés à se faire une place dans le quotidien des villageois.


Pourtant, et malgré les réticences des anciens, cette décennie restera la période charnière de l'évolution des habitudes et des modes de vie au village ( mécanisation des travaux agricoles, confort et hygiène accrus, automobile, télévision,...)



 

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En 1960, la petite agriculture familiale et polyvalente animait tout le village, surtout par ses activités liées à l'élevage bovin .

 

C'est ainsi que l'été le village s'éveillait chaque matin aux sons des bidons de lait, des sabots et des cloches des vaches que l'on rentrait des pâtures pour la traite matinale.

 

Les troupeaux n’étaient généralement pas très importants et allaient tout au plus jusqu’à vingt, vingt cinq vaches. Un seul homme, femme ou enfant, muni d’un simple bâton suffisait à guider les animaux sur des parcours qui leur étaient familiers. Le guide lâchait de temps en temps un « allez !» pour activer le pas des bêtes ou vociférait en rappelant à l’ordre l’une d’entre elles qui s’attardait à brouter les herbes hautes des bords de route. La méthode consistait à crier le nom de la vache (la Grise, la Blanche, Rosalie …), chacune d’elle jouissant de cet attribut personnel.

 

La circulation routière de cette époque sur le réseau secondaire des alentours de St Marcel n’était pas encore telle qu’elle puisse justifier plus d’un accompagnateur. A l’approche d’un véhicule, le guide remontait le troupeau, l’incitant du bâton à regagner un côté ou l’autre de la route suivant que le véhicule se présentait de l’avant ou de l’arrière. Toute la difficulté était alors d’être suffisamment persuasif pour obtenir des animaux qu’ils obéissent immédiatement mais sans pour autant prendre le risque de créer la panique au sein du troupeau, ce qui aurait été catastrophique pour le déroulement de la manœuvre. En effet, il fallait à tout prix éviter que les bêtes se poussent à coup de cornes et se mettent à galoper dans tous les sens .

 

Pour l’automobiliste, croiser un troupeau ne posait pas trop de difficultés : il suffisait de s’arrêter, en serrant le bas coté, voire d’avancer lentement et régulièrement. L’opération devenait plus délicate quand il était question de dépasser un troupeau, les animaux étant pris par l’arrière et n’ayant la vue sur le véhicule en circulation qu’au moment ou il se présentait à leur hauteur. Pour éviter cet effet de surprise qui aurait immédiatement déclenché le coup de corne, le vacher précédait l’automobile au pas rapide, « serrant » ses bêtes, mais toujours sans courir pour éviter qu’elles prennent peur et s’emballent. Toute la durée du dépassement, l’automobiliste devait malgré tout, rester très vigilant, le coup de corne ou de sabot étant possible à tout moment. Le coup de queue était assez fréquent mais restait sans conséquence, bien entendu . Il n’était pas de nature agressive, mais tout simplement utile à la pauvre bête pour se débarrasser des mouches qui la recouvraient .

 

D’ailleurs, l’arrivée des troupeaux dans le village était marquée par une invasion de mouches dans les maisons aux portes et fenêtres ouvertes. Le seul moyen moderne et un tant soit peu efficace de l’époque (hormis l’affreux DDT pulvérisé à l’aide d’un appareil à pompe manuel) était le fameux « papier collant » que l’on sortait de son emballage en le déroulant avant de le suspendre au centre de la cuisine, pour ne pas dire au dessus de la table familiale. Il n’était changé qu’une fois totalement noirci par les cadavres des mouches qui s’y collaient pour une lente agonie ponctuée de bourdonnements d’ailes .

 

Dès le lever du jour, tout le village s’éveillait au bruit familier des troupeaux qui rentraient pour la traite matinale. Sans se retourner et au simple son des cloches d’un troupeau, on pouvait dire «c’est untel qui rentre». Après la traite, les vaches faisaient le chemin inverse et regagnaient leur pâture. Arrivé sur place, le vacher reprenait sa bicyclette ou son cyclomoteur qu’il avait laissé appuyé contre un piquet de clôture et rentrait au plus vite pour s’activer aux opérations de culture du moment. Le soir, aux environs de 16h/16h30, il retournait à la pâture où, en général, les bêtes impatientes l’attendaient déjà à la porte, le pis pesant de lait, pour la traite du soir. Cette opération étant faite, c’était de nouveau le retour au parc pour une nuit. C’était ainsi, tout l’été et tous les jours y compris les dimanches et les jours de fête. L’hiver, les bêtes restaient à l’étable (« l’écurie »), nourrie du foin qui avait été engrangé au début de l’été.


Tous les jours, à heures fixes, tôt le matin et en fin d'après midi, le laitier assurait la collecte des bidons pleins de lait et en échange déchargeait son camion plateau gris des bidons vides pour la traite suivante. Lors de sa tournée de fin d'après-midi il déposait aussi ceux contenant "le petit lait" si utile à l'alimentation des porcs. Une fois ce ramassage terminé, le précieux butin prenait la direction de la laiterie-fromagerie de Rosières spécialisée dans la fabrication de l'emmental. Le laitier, s'il était particulièrement attendu par les éleveurs, il ne l'était pas moins en fin d'après midi par les enfants qui se voyaient remettre un petit morceau de cet excellent framage seulement en échange d'un "petit bonjour Monsieur". Le laitier enregistrait également les commandes d'emmental et en asurait la livraison le lendemain aux villageois qui lui en avaient fait la demande.  

 

Vers 1964-65, certains éleveurs optèrent progressivement pour une nouvelle forme de l’élevage bovin : la "stabulation libre". Ce fut le début de la construction de hangars métalliques au sein même du village, symbole d’une certaine modernité qui jurait avec l’architecture traditionnelle des fermes . La formule offrait aux cultivateurs l’avantage d’y laisser les bêtes en permanence, elles n’allaient plus à la pâture, il s’en suivait un gain de temps non négligeable, l’état de propreté des rues en était grandement amélioré, et du même coup, les tas de fumier disparurent des cours des habitations.

 

Dans le même temps, les éleveurs purent introduire le principe de l'alimentation à base de farines livrées par camion directement à la ferme.

 

Une grande révolution venait de modifier bien des anciens errements et bien des aspects du village, ce qui, bien entendu, nourrissait les critiques de la part des plus vieux qui prédisaient alors que la viande, le lait et le fumier allaient devenir des poisons avec cette « saloperie de Sanders », que les prés et les pâtures étaient remis en culture céréalière et allaient disparaître du paysage déjà massacré par la vue de ces hangars métalliques, que le prix du blé allait chuter, que les vaches vivaient sur leur tas de fumier qui ne faisait que monter, que cela puait dans tout le village, que cela amenait des mouches en permanence, … et que même la cancoillotte, qui n’était déjà plus fabriquée en ferme, mais dans des laiteries industrielles spécialisées, s’était déjà mise à sentir le Sanders.


 


Le village vu de la route venant de Vitrey et la croix vers 1977
(photo Jean-Pierre Guillaume)

 

 

La cancoillotte, c’est un fromage maigre typique de la Franche Comté qui est fait à partir de lait de vache, écrémé, caillé, pressé, émietté et fermenté donnant des grains durs très odorants de la taille d’une noisette et que l’on appelle le metton . Pour stopper la fermentation du metton il n’y a qu’une solution : le faire fondre dans un peu d’eau et à feu très doux . L’observation de la fermentation doit se faire chaque jour faute de quoi, passé un certain stade, ce metton devient trop fort et dégage une odeur abominable qui le rend inconsommable. De cette manière on obtient une pâte jaune paille onctueuse qui durcit en refroidissant . Cette pâte, alors stabilisée, peut être conservée huit à dix jours au frais en attendant d’être consommée .

La cancoillotte est une des plus anciennes spécialités de Franche-Comté. Des écrits datant de Charles Le Quint la mentionnent et d'autres, relatant la prise de la Séquanie par les Romains en 58 avant JC, en feraient état (elle aurait donc plus de 2000 ans !!!!).   

 

On consommait la cancoillotte de deux manières, soit froide sur du pain légèrement beurré, soit chaude. Pour cela, on faisait de nouveau chauffer la pâte obtenue à partir du metton avec un fond d’eau, à feu très doux, on y ajoutait un peu de sel, du poivre , un peu de beurre et on y trempait des petits morceaux de pain piqués au bout d’une fourchette. La tradition populaire rapporte que les grand-mères mettaient le metton à fermenter dans un linge qu’elles plaçaient sous l’édredon.

 

Le porc était encore présent dans les fermes mais sa destination qui, dans les années 50 était essentiellement réservée à la consommation familiale, prit une orientation différente dans les années 60.


Cette fois, la plus grosse part de la production était destinée à la vente aux maquignons et bouchers locaux, ou pour la reproduction.


On tuait toujours le cochon dans les fermes pour sa viande qui était alors transformée en charcuterie ou mise en conserve ( bocaux stérilisés ). A cette époque le saloir des générations précédentes avait pour ainsi dire déjà disparu.


Aux environs de 1965, l'aménagement dans le bâtiment de l'ancienne fontaine "du bas" par la Commune d'un ensemble collectif de congélation apporta encore bien du changement dans les habitudes de conservation des aliments. Très appréciée, cette installation communale permit aux habitants d' y disposer d'une case particulière en location en attendant de pouvoir s'équiper de congélateurs particuliers.



Quant au boudin, il était en général consommé immédiatement par le biais de la distribution de morceaux à la famille et aux proches voisins. La stérilisation puis ensuite la congélation sont venues à bout de la tradition qui faisait que tuer le cochon était une véritable fête de famille qui réunissait à table les jeunes et les vieux, autour des produits frais de la bête et que chacun repartait avec son morceau de cochon. La semaine suivante, on tuait le cochon dans la ferme voisine ou dans la famille ; on était alors invité en retour et on repartait aussi avec son morceau de cochon.


La tradition voulait aussi qu'un beau morceau soit remis à "môsieur le curé".

 

Les saucisses et les jambons n’étaient déjà plus fumés et séchés à l’âtre, puisque la cuisinière au feu de bois s’était généralisée, mais les saucisses "sèchaient" encore suspendues dans les cuisines. Pour information, le feu à l'âtre a progressivemnt disparu des cuisines vers la fin du XVIIIè siècle et a été remplacé par les premiers fourneaux en fonte qui étaient l'oeuvre de petits fondeurs du département.


 

Pour ce qui concerne les moutons, le phénomène était proche de celui du porc à une exception toutefois : à aucun moment son abattage n’a justifié l’organisation d’une fête. Il faut reconnaître que son rapport en quantité de viande n’a rien de comparable avec celui d’un porc, le rendant ainsi et quasiment immédiatement consommable par une famille de l’époque .

 

Les lapins et les volailles, poules, poulets, canards étaient consommés à la demande. Le coq , la dinde et l’oie étaient réservés pour les "grandes tablées" des dimanches et des jours de fête.

 

L’entretien et les soins aux poulaillers et clapiers étaient confiés à l’attention des anciens, des jeunes gens ou enfants. Il fallait aller à l’herbe pour les lapins. Elle était coupée à la faux ou à la faucille, entassée sur une brouette ou une charrette à bras à deux grandes roues en bois cerclées de bandages métalliques. La roue à pneumatiques de caoutchouc plein ou gonflée à l’air n’est apparue que tardivement du fait que le petit matériel n’était changé qu’en dernière extrémité de vétusté. Alors, comme beaucoup de choses à l’époque, les brouettes et les charrettes étaient régulièrement rafistolées de bric et de broc pour assurer ainsi du service le plus longtemps possible et les bandages métalliques au contact du gravier rose de Moselle, répandu et compressé sur les routes, ne rendaient pas discrets les déplacements de ces engins.

 

La pratique du français ne fit guère son apparition au sein des foyers familiaux qu’aux environs de 1900 et encore, de manière assez particulière en ce sens que le patois se mêlait au français et que pour certains mots ou certaines expressions il était même fait appel au vieux français .

 

Dans les années 60, bon nombre des anciens étaient restés attachés à ce curieux mélange de vocabulaire mais essentiellement pour les conversations banales du quotidien. Les plus jeunes les comprenaient et leur répondaient en français, ce qui donnait parfois une tournure assez particulière aux conversations.

 

Les villageois se connaissaient tous, bien entendu, et se souhaitaient la bonne journée ou la bonne soirée ; les plus anciens répondaient aux plus jeunes et pour saluer, les hommes se découvraient en signe de respect ou tout du moins portaient la main à leur casquette ou béret. A cette occasion, il était également de bon ton de s'arrêter pour dire quelques mots, commenter la une du quotidien L'Est Républicain que l'on portait serré sous le bras, fraîchement retiré chez le buraliste, ou encore les cours de la viande et du lait qui s' y trouvaient rapportés.


 


La rue principale dans les années 55/60
A droite : "la forge" et la fontaine "du Haut"
(photo Jean-Pierre Guillaume)

 

 

Les enfants étaient l'objet de toutes les attentions et se voyaient souvent récompensés par la remise d'un bonbon ou d'un morceau de chocolat tiré de la poche du tablier sous le prétexte qu'ils s'étaient montrés sages ou polis. Les plus timides avaient même droit à l'apposition d'une main rassurante sur la tête et d'un petit compliment sur leur tenue ou leur mine. Ils étaient aussi parfois les victimes de quelques plaisantins qui se les envoyaient de l'un à l'autre sous le prétexte d'aller chercher la clé de je ne sais quoi ou du poids du kilo de viande ou de céréale. Par contre, au moindre écart de leur part, ils se voyaient réprimandés vertement sur le fait, ou pire, via ses parents ou grand-parents qui avaient été informés.

 

Le principe du respect était enseigné et en vigueur partout, dans la famille, à l'école, dans la rue, avec le curé, avec les artisans et les commerçants, avec le laitier, avec Monsieur le Maire et bien entendu le garde-champêtre et les gendarmes qui jouaient le rôle du «père fouettard ».

 

L’exode rural déjà bien engagé s'est amplifié pendant cette période et a conduit irrémédiablement les jeunes gens vers les grandes villes telles que Vesoul, Langres, Chaumont, Dijon, Sochaux, Besançon, Montbéliard et Nancy pour les cas les plus fréquents, mais également Paris.

 

Il est utile de préciser là que d'une manière générale la taille des exploitations agricoles du village ne permettait pas qu’à la retraite des parents, elles puissent être reprises par plusieurs enfants ; ce cas de figure ne se rencontrait guère que dans l’hypothèse ou l’un d’eux restait célibataire et prenait le statut de commis de culture.

 

N’oublions pas non plus les effets conjugués de la mécanisation des activités agricoles et d'élevage qui réduisaient considérablement le besoin de main d’œuvre, ni l'attrait des embauches massives par les grandes administrations qui développaient leurs services (la Poste, l'Education Nationale, la SNCF, la RATP …) ou encore, les entreprises qui lançaient de grandes chaînes de fabrication de biens d'équipement de plus en plus variés (automobiles, appareils électroménagers, machinisme agricole, …).

 

Il s'en suivit, bien entendu, une baisse du nombre des habitants du village, même si déjà quelques retraités qui s'étaient ainsi «expatriés» revenaient s'y établir. Certains entretenaient les maisons de famille dans la perspective de ce retour mais d'une manière générale les habitations inoccupées se dégradaient lentement et perdaient ainsi de leur valeur.

 

A cette époque, l'approche de la période des vendanges créait encore une activité supplémentaire au sein même du village.

 

La vendange était l’aboutissement d’une année de soins attentifs répétés et d’efforts constants . Dire qu’elle en était la récompense ne serait pas juste au vu des aléas qui pouvaient l’affecter; la grêle, le gel, les pluies parfois abondantes qui favorisaient le développement des maladies, les pies, les guêpes et les frelons ( les fameux « cul jaunes » ) qui s’attaquaient aux grappes à peine mures au point d’en provoquer le pourrissement .

 

A St Marcel, la vigne était intégrée dans un système de polyculture sur des parcelles en général peu importantes et très morcelées.

 

Rappelons qu'au début des années 1800, il y avait à St Marcel entre 40 et 50 hectares de vigne, mais que la fin de XIX siècle marquât son déclin sous les effets conjugués du phylloxéra ( 1865 – 1885 ) et du mildiou, mais aussi de l’autoconsommation qui n'incita pas à perfectionner les techniques de vinification comme cela fut le cas pour d'autres vignobles.

 

Sont alors apparus des cépages plus résistants issus de croisements européens et américains tels que le Noah, le Baco, l’Oberlin et le Clinton . Faisant suite à l’état de surproduction déclaré en 1930, ces cépages particulièrement productifs, pourtant considérés cinquante ans plus tôt comme étant les sauveurs des restes du vignoble, devinrent des indésirables au point d’être déclarés comme étant impropres à la consommation. En 1935, l’interdiction de les  cultiver  était énoncée . C’est ainsi par exemple que le Noah qui assurait un excellent vin blanc devint "le vin qui rend fou et aveugle" en raison d’un taux de méthanol prétendument trop élevé.

 

Le pire c’est qu’aujourd’hui ces cépages ne sont plus interdits, y compris le Noah semble t'il, mais leur réputation entachée et douteuse en a fait des mal-aimés au regard de l’image de prestige à laquelle on associe le vin français d’une manière générale.

 

Le jour J, les raisins étant bien murs, les équipes de vendangeurs étaient tôt le matin à pied d’œuvre pour récolter le précieux butin, le cheval, puis ensuite le tracteur, était attelé à un chariot chargé des paniers et de la fameuse balonge qui allait recueillir les grappes .


 


Les vendanges en "Charmot" en 1959 : les cueilleurs et la balonge
La vendange de 1959 avait assuré un cru de qualité exceptionnelle
( collection Hervé DUBOIS)


 

La balonge était une sorte de grand baquet ou cuveau en bois, cerclé de fers plats rivetés ayant une hauteur de 80 à 100 centimètres .

 

Les vendangeurs prenaient place sur le chariot, les pieds pendants de chaque coté et l’attelage prenait la direction de la vigne .

 

« Faire une vigne » ne prenait généralement pas beaucoup de temps et à midi le travail de cueillette était souvent terminé. C’était alors l’heure de fêter l’évènement autour d’un bon repas alors que les conversations allaient bon train au sujet de la future cuvée que l’on comparait déjà en se référant aux bonnes ou moins bonnes années qui avaient précédé.

 


Une équipe de vendangeurs à pied d'oeuvre en 1959 dans une vigne située en bordure du chemin menant à "la Voinchère".
Notons la présence au premier plan d'un petit " pêcher de vigne" témoin de l'apparition éventuelle de l'oïdium dans la parcelle.
(collection Michel DUBOIS)

 

 

Dans les jours suivants, au gré du degré de maturité des raisins, l’équipe se reconstituait pour faire une autre vigne .

 

Les grappes n’étaient pas pressées mais foulées avec les pieds à même la balonge et, avant que les bottes et cuissardes en caoutchouc ne fassent leur apparition, cette opération s’effectuait pieds nus .

 

La qualité somme toute assez moyenne de la récolte et le phénomène d’autoconsommation n’incitaient pas à perfectionner les techniques de vinification, ce qui fait que les vins sont toujours restés de qualité passable, à l’exception toute fois, et j’insiste, de cet excellent vin blanc de Noah.

 

Les résidus des raisins, ainsi foulés aux pieds, étaient de ce fait encore suffisamment riches en jus pour permettre, après un ajout de sucre et d’eau, d’obtenir une base pouvant fermenter et assurer la production de « la piquette » moins alcoolisée que le vin bien entendu , mais légèrement pétillante qui, finalement, avait bon goût.

 

Les marcs ainsi réutilisés, pouvaient ensuite être mis à fermenter après un nouvel ajout de sucre en vue de leur distillation ultérieure.

 

Mais, déjà dans les années 60-70, les seuls à rester véritablement attachés à la culture de la vigne étaient les plus anciens qui voyaient là le fait de perpétrer une tradition ancestrale plutôt que d'y trouver un quelconque intérêt.

 

Il en était d'ailleurs de même pour ce qui concernait la distillation des fruits, mais cependant dans une moindre mesure.

 

L'opération avait lieu dans un petit local communal situé entre l'ancienne Mairie-Ecole et l'atelier du menuisier. Il abritait l'alambic municipal et c'est là, qu'à tour de rôle, se succédaient les habitants qui souhaitaient distiller les fruits qu'ils avaient au préalable mis à fermenter . Sans entrer dans le détail de la fiscalité qui était attachée à cette opération, je dirai simplement qu'elle était assujettie à déclaration et que cette formalité «de Régie» s'accomplissait auprès du buraliste du village qui délivrait les acquis et en référait à l'administration fiscale.


En pratique, il y avait ce que l'on déclarait ainsi et puis l'excédent que l'on "sauvait" en cours de distillation . L'une des méthodes les plus répandues consistait à soustraire l'alcool dans un sceau où nageaient une serpillère et une brosse de chiendent propres et de faire convoyer le tout par une femme jusqu'à la maison, le plus naturellement du monde et comme si elle revenait d'une lessive à la fontaine.    

 

Les fruits mis ainsi en distillation étaient très généralement les mirabelles, les quetsches et les marcs de raisins ; plus rarement les poires, les cerises et les pommes.

 

La distillation était faite «à l'ancienne» c'est à dire après deux passages dans l'alambic avant le réglage au degré d'alcool voulu par un apport d'eau.

 

Une telle activité au beau milieu du village n'était pas sans attirer des visiteurs qui venaient, et parfois même revenaient, pour goûter et apprécier la qualité de la cuite.

 

Cet intérêt pour l'alcool de fruits a son origine dans le fait qu'avec le déclin de la vigne à la fin du XIX siècle, bon nombre des petites parcelles ainsi libérées avaient été replantées d'arbres fruitiers, et que ces derniers avaient finalement profité d'une sorte de report d'affection de la part des ex-vignerons.

 

Les plus anciens vergers jouxtaient le village et certains, les murgers, étaient entourés de murs ou murets de pierres sèches . On y trouvait des sujets de variétés anciennes et rustiques bien adaptées à la nature du sol et au climat, des cerisiers généralement greffés sur du merisier, ce qui leur conférait des dimensions imposantes, des pruniers et pommiers de toutes sortes.

 

Les poiriers, en quantité plus réduite, fournissaient des petits fruits durs et noueux, au cœur granuleux, qui ne pouvaient se consommer que cuits : « les poires de curé ». Quelle pouvait bien être l'origine de cette dénomination ?

 

Moins nombreux encore étaient les cognassiers dont les fruits n'étaient destinés qu'à la réalisation des confitures et gelées de coings.

 

Les pommiers étaient de plusieurs variétés dont la maturité des fruits s'échelonnait tout au long de l'été. Il y avait l' excellente  pomme précoce à la peau d'un beau vert tendre et à la chaire blanche très juteuse qu'il fallait consommer immédiatement au point de justifier sa distribution dans le village puis, toutes les variétés rustiques de l'époque qui se conservaient plus ou moins longtemps au fruitier.

 

Le fruitier c'était un petit local légèrement aéré, sec mais pas trop, et surtout hors gel faute de pouvoir être tempéré. Les pommes et les poires de conservation s'y retrouvaient aux côtés des coings, des noix et noisettes sans oublier les pruneaux et parfois même les pâtes de fruits à base de coings qui finissaient de s'affiner, puis enfin les pots de confitures de mirabelles, cerises, framboises, mûres,fraises, groseilles,et rhubarbe notamment.

 

Il flottait là une odeur très agréable qui mettait l'eau à la bouche.

 

Les pommiers à cidre donnaient des petits fruits amères et durs qui ne pouvaient pas se consommer mais regagnaient le pressoir . Leur jus était mis en fermentation dans des tonneaux et ensuite soutirés dans des bouteilles bouchées et muselées .

 

Le cidre brut, pour ne pas dire rêche, ainsi obtenu n’était pas d’une grande qualité gustative mais présentait l’avantage indéniable de faciliter le transit intestinal au point de devoir s’en méfier .

 

L’essentiel de la récolte de mirabelles, prunes diverses et quetsches était destinée à la distillation et une partie regagnait aussi les bocaux, tout comme les pommes en quartiers, et les groseilles au sirop que les femmes ressortaient l’hiver pour confectionner des tartes .

 

Les cerises finissaient aussi dans l’eau de vie pour être servies en digestif aux femmes .

 

Les grand-mères préparaient ce qu’elles appelaient « la goutte de vieux garçons » . Cela consistait à placer dans un grand bocal d’eau de vie toutes sortes de fruits au fur et à mesure de leur maturité . On y trouvait des fraises des framboises des groseilles, des prunes ou mieux des pruneaux, des mures et des raisins . Ce mélange qui ne présentait qu’une durée de conservation assez limitée devait impérativement être consommé dans l’hiver, ce qui habituellement, ne posait pas de difficulté particulière . Son jus de macération qui avait bénéficié d’un léger apport de sucre, était tout simplement savoureux.

 

Les hommes préféraient faire  "trempus" avec des morceaux de pommes ou de poire qu’ils plongeaient dans un verre d’eau de vie .

 

La marmaille quant à elle, se voyait de temps en temps gratifiée d’un morceau de ces fruits qu’on lui tendait alors sur la pointe du couteau sous le prétexte que cela réchauffait et aidait à digérer avant d’aller se coucher en général dans un lit froid et humide en période d’hiver.

 

Les chambres n'étaient parfois chauffées que peu de temps avant d'aller se coucher, pour "couper l'air" disait-on. En entrant dans le lit, la première impression était celle de la moiteur froide des draps. Là, pas question de retirer ses vêtements avant d'entrer dans le lit. Cette opération avait lieu une fois couché et on glissait rapidement son pantalon sous l'édredon de plumes pour qu'il soit chaud pour le renfiler le lendemain matin au réveil. En début de nuit, les pieds ne décollaient pas la bouillotte ou le carron qui finissait par refroidir bien vite. Puis, le feu du petit cubilot s'éteignait faute d'être réalimenté ce qui fait qu'au petit matin les vitres de la fenêtre étaient couvertes de jolies fleurs de glace et des glaçons s'étaient même formés sous le nez en raison de la condensation puis du gel de l'humidité de la respiration.
 

 

La toilette matinale se faisait au «  lavier », la seule pièce de la maison équipée d'un robinet d'eau froide et d'une pierre à eau. C'est aussi à cet endroit qu'étaient lavés les légumes, le patit linge et la vaisselle. L'hiver, le lavier n'était pas chauffé et l'impression de froid qui y régnait était encore accentuée par un courant d'air glacial débouchant de l'extérieur par le trou d'évacuation de la pierre à eau.

 

Avant que l'adduction d'eau soit réalisée, il fallait la tirer du puits généralement situé dans la cour ou remplir son sceu à la fontaine.

 

L'eau chaude était assurée par une bouilloire posée en permanence sur un coin de la cuisinière ou tirée d'un petit réservoir qui équipait certains modèles.

 

Au regard de tous ces inconvénients on peut comprendre que, si elle n'était pas reportée au lendemain, la toilette était généralement de courte durée. L'envie de regagner au plus vite la cuisine était de mise car c'était là, et seulement là qu'il faisait bon, voire parfois même trop chaud.

 

Pour revenir aux fruits, les quetsches, disposées sur une « tôle » ( une tourtière ) et mises au four à sécher par les grand-mères donnaient d’excellents pruneaux que l’on consommait l’hiver à la veillée en famille, ou entre voisins, accompagnés de noix, noisettes et parfois de « marrons » ( des châtaignes ) achetés à l’épicier ambulant ou en magasin d’alimentation à Jussey .

 

A propos des noix, les feuilles de noyers étaient utilisées pour faire fuir les puces des literies et on les portaient même sur soi, serrées autour de la taille ou dans les tiges des chaussettes .

 

A cette époque, les animaux domestiques tels que les chats et les chiens, mais aussi les volailles, véhiculaient les puces en abondance, les transmettant aux humains qui ne pouvaient compter que sur des répulsifs naturels tels que précisément la feuille du noyer.

 

Les hommes qui, au quotidien, côtoyaient de près les chevaux ne craignaient pas ce petit insecte sauteur qui, en effet, a la particularité de détester l’odeur du cheval qui imprégnait alors durablement leurs vêtements .

 

Le phénomène avait déjà été observé dans les villes au moment des grandes épidémies de peste alors que les cochers qui conduisaient les corbillards hippomobiles étaient souvent épargnés par la contagion.

 

Dans les années 60, la pratique du remembrement des propriétés a fait disparaître un certain nombre des vergers situés hors de la proximité immédiate des villages, aidé en cela par l’apparition des premières tronçonneuses ; les villageois abattants leurs fruitiers pour en faire du bois de chauffage avant de céder leurs parcelles en échange de terres de culture .


Traditionnellement, on se chauffait au bois à Saint-Marcel, les forêts qu'elles soient privées ou soumises étant nombreuses et particulièrement productives autour du village.


Quand ils ne disposaient pas de bois en propre, chaque habitant avait de la possibilité d'exploiter une coupe de bois mise à sa disposition par la Commune selon le principe séculaire de l'affouage.


Les longues périodes d'hiver étaient ainsi mises à profit pour abattre la quantité de bois utile au renouvellement des stocks qui étaient mis au sèchage pendant plusieurs années, en bouts d'un mètre, avant de pouvoir être brûlés. C'est ainsi que les tas de bois faisaient partie intégrante du paysage du village et que chaque automne le bruit des scies raisonnait dans toutes les cours.


Quelques habitants s'étaient équipés de banc de scie et passaient de ferme en ferme troquant généralement leur service en échange de quelques stères. Pour cette opération de sciage en morceaux de vingt-cinq centimètres pour s'inscrire dans la cuisinière, il y avait aussi la possibilité de faire appel à un professionnel du sciage (le scieur), tel que par exemple l'entreprise Mafioly de Cemboing. Ensuite, et avant de rentrer "au sec" la quantité utile à couvrir les besoins de l'hiver, il fallait fendre les bouts à la hache.

 

Pour revenir aux arbres fruitiers, la plantation des pêchers se limitait pour ainsi dire aux parcelles de vignes . Ces petits arbres prenaient alors place dans les rangs ou en rive des parcelles et donnaient des petits fruits à maturité tardive, grisâtres, à cœur très rouge, très sucrés et au goût de pêche très prononcé .

 

Cette variété, dite « pêche de vigne », doit son nom au fait qu’étant particulièrement sensible à l’oÏdium elle servait de témoin aux attaques de cette maladie qui risquait de s’étendre ensuite à la vigne . La plantation des rosiers dans les mêmes conditions prévenait quant à elle, de l’apparition du mildiou dans les parcelles .

 

Le tilleul trouvait généralement sa place au sein même du village, dans les cours des habitations ou à proximité des établissements publics tels que la Mairie, l’église ou encore le cimetière .

 

Cette essence présentait le double avantage de fournir de l’ombre et de pouvoir être taillé et rabattu à volonté de façon à limiter sa croissance sans risque pour sa santé .

 

Le moment venu, les femmes se regroupaient pour cueillir les fleurs des tilleuls, les faisaient sécher avant de les stocker dans des petits sacs de toile cousus et fermés par deux tresses nouées .

 

L’hiver, les fleurs bien sèches étaient mises à infuser quelques minutes dans de l’eau chaude pour en obtenir une tisane aux vertus médicinales bien connues pour faire chuter la fièvre ou lutter contre les troubles du sommeil . Associée à quelques centilitres d’eau de vie et un peu de miel cette infusion procurait tous les avantages d’un grog pour lutter contre les prémices du rhume, de l’angine ou de la grippe .

 

A cette époque, l’eau de vie était un peu le remède miracle qui désinfectait les plaies et soignait soit disant un peu tout, des maux de dents aux bronchites, asthme etc, etc … La pharmacie de l’école en contenait pour apaiser les maux de dents des enfants qui se voyaient alors gratifiés d’un morceau de coton bien imbibé à appliquer sur la dent douloureuse.

 

Tous les habitants du village exploitaient avec plus ou moins de bonheur une ou plusieurs parcelles de jardin pour nourrir la famille . On y trouvait, pour l’essentiel, des pommes de terre, des carottes, des petits pois, des choux, des salades, des  aromates, des tomates et des haricots nains ou à rames qui étaient mis en conserve, verts, dans des bouteilles. Les grains étaient conservés au sec dans des petits sacs de toile à l’abri des charançons . Ces jardiniers assuraient aussi leurs graines et plants pour le printemps suivant . Les femmes y cultivaient des fleurs, les semant ou les bouturant suivant le cas . Une partie de celles-ci servait au fleurissement des cours et des devants de portes, des tombes au cimetière et de l’église .

 

Une bonne partie des récoltes de légumes était stérilisée via les services de "la chaudière" qui, de ce fait, était installée à l'extérieur une bonne partie de l'été. Ce matériel ancestral disparut avec l'arrivée du congélateur.

 

Au prétexte qu’il ne fallait pas "brûler la terre", les jardins ne recevaient en principe un apport de fumier que tous les deux ans, le fumier des animaux de la ferme bien entendu, mais aussi celui provenant du vidage des tinettes ou des pots de chambre car les habitations n’étaient pas équipées de WC .

 

Les paysans, pour la plupart, "faisaient derrière le cul de leurs vaches" et le papier journal découpé en petits morceaux ou des boulettes de foin faisaient office de papier hygiénique. Le tout était évacué quotidiennement et prenait la direction du tas de fumier qui, très souvent, trônait devant les habitations, en bord de rue, à côté des tas de bois.

 

Afin que le ruissellement des eaux de pluie ne "lave pas" le tas de fumier, ce dernier était régulièrement peigné de haut en bas, au râteau, ce qui faisait que la paille conduisait l’eau vers l’extérieur à la manière du chaume sur une toiture . Ce ruissellement se mêlait à celui né du tassement du tas et de sa fermentation et regagnait la rue, sous forme de purin malodorant qui s’ajoutait et se mêlait aux bouses des vaches battues et rebattues par le passage des voitures.

 

Parfois, l’étable et l’écurie jouxtaient la cuisine et tout au mieux en étaient séparées que par la grange.

 

L’implantation contre la cuisine offrait l’avantage de bénéficier de la chaleur dégagée par les animaux l’hiver . C’est également pour cette raison qu’au dessus d’eux, on trouvait souvent les chambres, avec leur plancher de frises grossières et souvent disjointes .

 

Cette disposition permettait aussi d’entendre si les animaux n’étaient pas malades la nuit et surtout les aboiements des chiens qui prévenaient de l’arrivée de rôdeurs, vagabonds, romanichels, et voleurs, mais aussi tout simplement des renards et blaireaux .

 

Il était très fréquent que le village accueille des romanichels qui, le jour offraient leurs services en faisant le porte à porte des fermes, rempaillage de chaise, rémoulage, rétamage des casseroles en cuivre, vente de paniers et corbeilles en osier etc, etc tout en repérant les lieux disait-on, pour commettre leurs menus larcins la nuit venue . Leur réputation de voleurs de poules ne s’est tout de même pas faite par hasard .

 

En 1960 on côtoyait encore la vermine ; les souris nichaient dans les dépendances, les rats préféraient les caves, les fouines et les martres s’installaient dans les plafonds sous les planchers des greniers s’y délectant des œufs du poulailler, et les puces couraient dans les vêtements et les lits..

 

L'un des artisans d’importance au village était incontestablement le maréchal ferrant dont l’activité résonnait dans tout Saint- Marcel, du matin jusqu’au soir . Il ferrait les derniers chevaux du village et ses coup de marteau qui façonnaient le fer rouge sur l’enclume impressionnaient.


 


L'atelier de Marius Grandjean, le maréchal ferrand ("la forge")
(Août 2013)

 

 

La scène se déroulant sur le bord de la rue, les passants s'arrêtaient pour admirer la précision de ses gestes

 

Le « maréchal » ajustait les fers et après avoir rectifié la corne des sabots, les appliquait encore chauds sous les pieds de ces paisibles bêtes qui se laissaient faire sans broncher ou presque . Au contact du fer chaud, la corne fumait abondamment. Le fer était ensuite cloué au sabot, son bon appui sur le sol était vérifié, et le maréchal changeait de patte .

 

Avec l’arrivée du tracteur, les chevaux se sont faits de plus en plus rares et l’activité du maréchal ferrant, s’orienta vers des travaux d’adaptation des machines et outils à ce nouveau mode de traction.
 

C’est ainsi que, par exemple, les chariots, les faucheuses-lieuses et les charrues reçurent des timons pour pouvoir les atteler aux tracteurs.

 

Ces opérations relevant de la construction mécanique, la forge servit de plus en plus au rivetage des pièces et à leur mise en forme .

 

Avec le tracteur est aussi arrivé l’usage du pneumatique avec les nouveaux besoins liés à cette modernité qui, par rapport à la roue en bois cerclée de bandage en acier, apportait de nombreux avantages aux cultivateurs et autres utilisateurs .

 

Devenu plus charron que maréchal ferrant , il équipait les chariots et autres engins d’essieux à roues à pneus, d’ailleurs souvent récupérés sur de vieux camions souvent d’origine militaire .

 

De telles adaptations et modifications demandaient généralement de faire preuve d’ingéniosité et très souvent aussi nécessitait la contribution du menuisier, le tout métallique n’étant pas encore de mise à cette époque pour des motifs tout simplement d’ordre économique .

 

C’est ainsi que certains charrons déposèrent des brevets et créèrent des ateliers de fabrication de machinisme agricole ou se spécialisèrent dans la maintenance et les réparations des moteurs de tracteurs, puis des automobiles .

 

Ce ne fut pas le cas au village ou "le maréchal" développait d’avantage des activités de fabrication d’articles tels que des grilles ou encore, de la serrurerie .

 

Son atelier s’est tu définitivement à son décès en Avril 64, privant le village du bruit jusque là si familier de ses coup de marteau et de l’enclume qui résonnait , mais surtout de tous ses petits services de réparations diverses sur un peu tout .

 

Au village, lui et le menuisier, dont les ateliers se faisaient face dans la grande rue, étaient véritablement des artisans incontournables et complémentaires .

 

De l'atelier de menuiserie sortaient toutes sortes d'articles, des huisseries, des fenêtres, des portes, des meubles, des pièces de charpente etc, etc …


 


L'atelier de Louis Constant, le menuisier
(Août 2013)


 

 

Les services du menuisier ne s'arrêtaient pas là, il reprenait toutes sortes de vieilles menuiseries sur lesquelles il greffait des parties de bois neuf, rafistolant ainsi et à moindre coût des anciens chariots, des charrettes, des brouettes …

L'atelier du menuisier était un véritable havre de paix pour des bataillons d'araignées qui, embusquées parmi les planches entreposées, tissaient leurs pièges destinés aux insectes à larves xylophages ; alors, l'artisan respectait ces petits animaux, pourtant habituellement si mal considérés tout autant que leurs toîles, faute de disposer à l'époque, de l'aide des traitements chimiques qui n'apparurent qu'ultérieurement. 

 

De là, sortaient aussi les bonnes odeurs du chêne et des vernis, le bruit caractéristique de la scie, de la raboteuse et de la dégauchisseuse.

 

Toutes les activités du menuisier et celles du maréchal ferrant gratifiaient le centre du village, de toute une vie, d'une âme.

 

Dans les années en question, le menuisier avait encore la charge de la fabrication des cercueils. Saisi par la famille endeuillée, il se rendait alors au domicile du défunt et prenait ses mensurations. De retour à son atelier, la mise en œuvre du cercueil était traitée en priorité par rapport aux chantiers qu'il pouvait avoir en cours car, au matin des obsèques, il devait livrer le cercueil et pratiquer la mise en bière avec l'aide de la famille en présence du Maire ou de l'un de ses adjoints.

 

Quand un habitant du village décédait, il était veillé à son domicile toute la nuit qui précédait son inhumation . C’était alors un va et vient incessant, les gens se succédant au chevet du défunt de vingt heure jusqu’aux environs de six heures du matin . Des chaises étaient installées autour de son lit, les femmes y égrenaient des chapelets de prières et les hommes se recueillaient généralement debout, tête découverte et la casquette à la main . Quatre cierges, deux à la tête du défunt et deux à ses pieds, diffusaient une faible lueur qui faisait danser les ombres des veilleurs . De temps à autre, et à tour de rôle, les hommes et les femmes prenaient la direction de la cuisine ou se tenaient les proches du défunt pour parfois se réchauffer et faire honneur aux petits gâteaux, boissons chaudes ou alcools qui recouvraient la table .

 

Tous les miroirs de la chambre funèbre avaient été soit retournés, dépendus, ou recouverts d’un drap pour les plus grands comme par exemple les glaces des armoires; un peu comme s’ils devaient rester des témoins discrets de la vie du défunt .

 

Après une ou deux heures passées ainsi, chacun reprenait alors le chemin de son domicile pour finir sa nuit ou vaquer à ses occupations matinales, non sans avoir omis de bénir le corps avec une branche de buis trempée dans un bol d’eau bénite .

 

L’habillage du cercueil était sommaire et se limitait exclusivement à un lit de copeaux répartis sur tout le fond du cercueil, d’un drap servant de linceul et d’un oreiller .

 

Peu de temps avant la messe, les porteurs se présentaient au domicile du défunt, et la famille en cortège derrière eux, prenait la direction de l’Église dont les cloches sonnaient « en mort ».

 

Le curé attendait sur le parvis, les portes de l’église étaient ouvertes en grand, il accueillait la famille qui se regroupait alors en procession derrière lui et les enfants de chœur ; tous entraient alors au son des chants des fidèles déjà réunis et le cercueil était déposé sur deux tréteaux, dans l’allée centrale a proximité de chœur .

 

La cérémonie terminée, la procession se reformait et prenait la direction du cimetière ou le fossoyeur venait souvent tout juste de terminer les travaux de terrassement de la fosse .

 

Quand il était utile de déplacer un monument existant, ce dernier demandait, tôt le matin, l’aide de la famille pour pouvoir commencer son travail .

 

Le cercueil était ensuite descendu dans la fosse par les porteurs et c’était le temps de la dernière bénédiction et des interminables condoléances et remerciements.

 

La famille, disposée en rang d’oignons voyait ainsi passer devant elle le cortège des habitants du village, serrant des mains et recevant l’accolade des femmes et des enfants.

 

Le moment était ensuite venu pour la famille de rejoindre le domicile du défunt ou une table bien garnie attendait tout ce petit monde de mortels pour le verre de la séparation .

 

Là, on trinquait à la mémoire du défunt, rappelant les bons moments passés à ses cotés et ajoutant souvent que s’il était encore là, il serait heureux d’une telle assistance .Pendant ce temps le fossoyeur qui avait discrètement reçu sa petite pièce, refermait la tombe, maintenant et subitement désertée par tous .

 

Aux environs de midi trente, la famille se retrouvait autour d’une grande table pour le repas d’enterrement. Le curé n’était pas oublié, lui aussi, tout comme les porteurs, il recevait sa petite enveloppe pour ses bonnes œuvres, et parfois, prenait place au beau milieu des convives . De temps à autre on lâchait des « c’est la vie », ou, « s’il était là, il ne serait pas le dernier à plaisanter » comme si cela pouvait justifier que l’atmosphère prenne alors des accents quelque peu festifs au regard de la circonstance .

 

Vers le milieu de l’après midi, chacun repartait à ses occupations non sans rappeler qu’il restait disponible et ouvert en cas de besoin.

 

Cette fois, la page était bien tournée . Les très proches retournaient alors un instant au cimetière pour « arranger la tombe » toute fraîche et disposer au mieux les fleurs et autres marques de sympathie qui y avaient été déposées.

 

Les commerces sont resté longtemps au nombre de deux si l’on exclut le dépôt de pain qui était approvisionné par le boulanger de Montigny .

 

Il y avait le « tabac-journaux » en face de la fontaine du haut, dans la grande rue, tenu par Louis et Marguerite Echilley qui avaient étendu leur activité en faisant bazar, dépôt de gaz, papeterie et confiserie ; puis, le café installé sur la place du village .

 


(Août 2013)
Le commerce de Marguerite et Louis près de l'église, grande rue.

 

 

Aux alentours de 1963, Louis et Marguerite, à plus soixante ans, reprirent le café-épicerie et y transférèrent les services de leur petit magasin de la grande rue qu’ils fermèrent. Là ils assuraient de plus les missions de cabine téléphonique et télégrammes. Auparavant, ce petit commerce a été tenu par Alphonsine Chevalot puis par la famille Joblot vers la fin des années 50 avant de reprendre une épicerie dans le centre de Port Sur Saône.  


 


Le café vers 1910
(photo Jean Pierre Guillaume)



 


Le café en Juin 1962
(collection Michel Dubois)

 

Il est à remarquer que sur la façade du café telle qu'elle apparait sur les cartes postales du début des années 1900, le patronyme Echilley apparait déja dans le libellé des propriétaires de l'époque et sous la forme "CAFE POINSSENOT-ECHILLEY". 

 

Les dimanches, le café était très fréquenté, de la sortie de la messe jusqu’à l’heure de la traite du soir. L’après-midi, il recevait les joueurs de belote et de tarot et l’ambiance qui régnait alors dans la grande salle du fond était particulièrement bruyante et enfumée.

 

Cette grande salle servait aussi, mais très occasionnellement, de salle de cinéma quand un opérateur ambulant était de passage au village avec son appareil super 8 et son écran portatif. A un moment donné, le curé d'Ouge y organisait de fréquentes seances.

 

Comme un jeu de quilles, "les quilles", avait été aménagé à proximité, les joueurs n’avaient que la rue à traverser pour rejoindre le café pour s’y rafraîchir et c'est là que les perdants réglaient leur dette.

 

En dehors du traditionnel Pernod du dimanche midi, les plus anciens y consommaient du vin rouge vendu "au canon" ou "à la topette" , et les jeunes, de la bière en canettes de verre consignées.

 

Les enfants adoraient rejoindre les joueurs de cartes, tapant le père ou le grand-père dans l’espoir de se faire offrir une limonade ou un diabolo à la menthe de préférence.

 

Il flottait là un mélange des odeurs de vin, de bière, d’anis, et de tabac qui entourait cette assistance bruyante et généralement joyeuse.

 

En effet, l’heure avançant, il n’était pas rare que les mauvais perdants et les tricheurs découverts perdent leur sang froid au point d’en venir parfois aux mains; et c’était toujours les mêmes !

 

Les femmes n’appréciaient pas trop ce lieu ni l’ambiance du jeu qui y régnait, attendant pour certaines d’entre elles, avec anxiété le retour de leur mari.

 

Regroupées en famille, chez l’une ou chez l’autre, elles tricotaient ou brodaient, autour de la cuisinière l’hiver, ou assises sur des bancs et des chaises devant les portes des maisons l’été.

 

C’était là que les jeunes filles écoutaient les conseils des grand-mères qui leur transmettaient ainsi l’art de la couture, du raccommodage et de la broderie, dans la perspective de la confection de leur trousseau de mariage précisaient-elles ; là aussi, étaient contées des histoires sur les hommes et leurs travers. L'ambiance qui régnait était très conviviale, ce qui donnait l’occasion de sortir le petit bocal de cerises dans l’eau de vie ou mieux, celui de la « goutte du vieux garçon ».

 

Les femmes ne se quittaient que pour aller traire les vaches et préparer le repas du soir, après avoir rangé leur ouvrage en cours dans un petit panier ou un sac que souvent elles n’avait d’ailleurs ni l’occasion ni le loisir de ressortir avant l’après-midi du dimanche suivant.

 

On peut, pour ainsi dire, que le dimanche, toutes et tous du village, prenaient enfin, et ensemble le temps d’une bien courte détente hebdomadaire qui ne durait en réalité que quelques heures.

 

La seule entorse tolérable à ce rituel quasi-sacralisé du repos hebdomadaire venait de la contrainte d’urgence due à des travaux de culture, au moment des foins, des regains, des moissons et des vendanges.


A propos de la moisson, il convient de préciser qu' alors le village tout entier s'animait subitement avec la maturité des grains et que les yeux se rivaient sur le coq de l'église dès que les premiers nuages apparaissaient. On guettait ainsi l'arrivée d'une ondée, ou pire, celle d'un orage qui à tout moment pouvait compliquer ou affecter les opérations. Les belles journées étaient mises à profit du levé de la rosée matinale jusqu'au soir, elles étaient dures pour toutes et tous. Toute la journée, les chevaux (ensuite le tracteur) tiraient la faucheuse-lieuse pendant que les femmes et les enfants s'activaient à ramasser les gerbes et s'appliquaient à former méthodiquement les "capuches".


Un champs était à peine terminé, que l'équipe prenait la direction d'un autre. Il faut préciser qu'une fois les gerbes disposées en "capuches" elle craignaient moins les effets d'une ondée ce qui laissait le temps de les ramasser en vue de leur mise sous grange.


Les gerbes engrangées étaient ultérieurement reprises quand la batteuse était "en batterie" dans la cour de la ferme. Ce jour là "on battait à la mécanique". La batteuse était très généralement celle d'une entreprise qui louait ses services , passant de village en village, et le midi prenait une forme incontestablement festive. Tous se retrouvaient autour d'une bonne et grande table, la famille et les voisins qui étaient venus prêter main forte, sans oublier l'entrepreneur de battage.
 

Cette journée était très dure, il fallait alimenter la machine en gerbes et dans le même temps évacuer les grains en sacs de cent kilos, surveiller la presse et stocker les bottes de paille pressée. Tout se faisait en même temps et manuellement. Mais, chacun était à sa place, actif et attentif au moindre "bourrage" pour le bon déroulement des opérations.









La pause de matinée et celle de l'après-midi étaient bien appréciées et mises à profit pour reprendre des forces. Les bocaux de "cochonaille" étaient ouverts ainsi que les bouteilles du "vin de pays" des meilleures années. C'est alors que les plus anciens rapportaient les exploits de quelques-uns de "leur temps" qui toute la journée faisaient la navette entre la "mécanique" et le grenier qu'ils rejoignaient par une echelle avec les sacs de grains sur le dos. Bien entendu, les plus jeunes écarquillaient de grands yeux et voulaient essayer, ce qui leur était accordé mais en fin de journée une fois l'opération terminée.


Les travaux de moisson et de battage se simplifièrent considérablement dès lors que les entreprises Bouérat de Montigny et Gousset de Cemboing s'équipèrent vers 1965, d'une, puis de plusieurs moissonneuses-batteuses.


La période "des foins" et celle des "regains", au printemps, animait aussi le village. Les soucis étaient les mêmes que pour la moisson et en tout premier lieu celui de la météo bien entendu. Les prés étaient alors fauchés avec dans un premier temps les "faucheuses" attelées aux chevaux et ensuite le tracteur doté d'une barre de coupe en situation "autoportée".

 



(Collection Jean-Pierre Guillaume)



Le sèchage des végétaux était obtenu en les retournant fréquemment et en formant des "andins" avec l'aide d'un "rateau-fanneur". Il n'y avait déja plus, à cette époque, que les petites parcelles qui étaient encore retournées manuellement au rateau. 


Revenons aux commerces.

Le village ne disposant pas de boulanger, c’était celui de Montigny qui faisait la tournée des rues avec sa camionnette et après avoir approvisionné le dépôt de pain. Dans les deux cas, le pain était délivré après annotation au coup par coup d’un petit carnet personnel que détenait l’acheteur et, le règlement n’intervenait qu’en fin de mois sur présentation du fameux carnet.

 

Tout autre type de commerce de détails était assuré par des commerçants ambulants qui passaient une ou deux fois par semaine suivant le cas, à des jours bien définis et toujours approximativement à heure fixe.

 

Parmi eux, deux bouchers dont l'un venait de Jussey assuraient chacun une tournée par semaine ; la Ruche Comtoise et les Ecos, Sanal, Cavagnac pour l’épicerie, chacun une fois par semaine ; un marchand de fruits, primeurs et poisson qui venait de Vitrey les vendredis ; un marchand de linge et vêtements une fois par mois ainsi qu'un marchand de chaussures-cordonnier de Gourgeon.

 

Pour les autres achats, il était utile de se rendre à Jussey ou d’attendre la foire qui s’y tenait une fois tous les mois.

 

Là, toutes sortes de camelots étaient présents et installaient tôt le matin leurs stands de part et d’autre de la rue principale de la bourgade.

 

Cette manifestation déplaçait beaucoup de monde et favorisait de nombreuses rencontres ; du coup on y apprenait les dernières nouvelles des uns et des autres.

 

A peine arrivés, hommes et femmes se séparaient après s’être donnés rendez-vous, chacun vaquant au gré de ses achats.

 

Pour les hommes, la foire se terminait traditionnellement au café et ils y arrivaient par groupes de trois ou quatre qui s’étaient retrouvés au hasard des stands . L’ambiance n’y était pas aussi festive que dans les cafés de villages les dimanches car on y parlait beaucoup plus de choses sérieuses, de culture, de vendange et des connaissances communes récemment décédées ou malades . Parfois, les prémices de transactions foncières s’y établissaient et des rendez-vous étaient pris en vue de leur développement ultérieur.

 

Régulièrement, le village recevait la visite d’un certain nombre d’autres ambulants qui faisaient du porte à porte à la recherche d’un débouché pour leur activité.

 

Il y avait ainsi le marchand de peaux de lapins, les récupérateurs de vieilles ferrailles, le rémouleur, et les marchands non moins traditionnels tels que les marchand de paniers et articles en osier, les rempailleurs de chaise, etc, etc ….

 

Moins connus, et pourtant très utiles, étaient les cardeurs de laine et les matelassiers . Ces véritables professionnels mettaient en œuvre la laine fraîche ou de récupération ainsi que les plumes, pour en faire des matelas, des oreillers et des édredons .En général, les sommiers étaient fabriqués par des tapissiers . Tous ces métiers se pratiquaient au domicile du demandeur.

 

L’entretien des rues et espaces publics était confié au cantonnier. Sa tache pouvait aussi être étendue aux opérations de petit entretien des bâtiments communaux tels que la Mairie, l’école et le cimetière.

 

Au début des années 60, les trois fontaines du village étaient encore en activité.

 

Traditionnellement, la fontaine était le lieu pour ainsi dire réservé aux femmes et, selon l’expression partout populaire « on y lavait le linge et on y salissait les gens ».


 


La fontaine dite "du Haut"
(Août 2013)


 

Ce "puisard" est l'un des vestiges de la première fontaine "du Haut" (voir Cadastre Napoléonien). L'usure des pierres de ses seuils atteste de son ancienneté.

Autre remarque : l'édification du mur de soutènement de la rue lui a été visiblement postérieure au regard du  fort désaxement en résultant par rapport aux ouvertures du puisard et est vraissemblablement née du besoin de mise en alignement de 1845 avec les emprises et les murets de la nouvelle église paroissiale. 
 

(Août 2013)



 
La fontaine "du Haut" vue de la Place de la Mairie
(Août 2013)

 

 

Faire la lessive était à cette époque une activité pénible qui, été comme hiver imposait le passage à la fontaine après que le linge ait été mis à bouillir («à cuire » dans une lessiveuse ) sur la cuisinière.

 

Les ménagères plaçaient ensuite ce récipient et la demi-caisse dans laquelle elles s’agenouillaient à la fontaine sur une brouette à bois, s’équipaient d’une brosse de chiendent et d’un bloc de savon de Marseille puis gagnaient la fontaine la plus proche.

 

Après avoir salué l’assistance, en effet, il n’était pas rare que cinq ou six femmes y étaient déjà présentes, la nouvelle arrivante recevait l’aide de l’une d’elles pour descendre la lessiveuse de sa charrette ou de sa brouette.

 

Il régnait là une certaine organisation et surtout une sorte de hiérarchie de l’ancienneté qui faisait que chaque arrivante prenait la place qui lui revenait au regard de son ancienneté en âge ou de présence au village ; le principe étant que la plus ancienne devait disposer de la place la plus près de l’arrivée d’eau propre et claire . C’est ainsi qu’au fil des arrivées, certaines femmes déjà installées, devaient se serrer pour laisser de la place à une retardataire plus âgée si cette dernière venait à revendiquer le respect de l’ordre ainsi établi .

 

Le linge sorti de la lessiveuse était alors étendu sur le bord en pierre du lavoir, il était savonné et frotté énergiquement à deux reprises, rincé dans le bassin réservé à cet effet, puis essoré .

 

Si le lavage des vêtements pouvait paraître aisé, il n’en était pas de même des draps de fil épais et lourds de l’époque, d’ailleurs leur essorage par torsion nécessitait l’aide de l’une des femmes présentes .

 

Le linge était ensuite étendu, l’été dans le jardin et l’hiver à même la cuisine, tout le temps de son séchage .

 

Le repassage n’était que rarement pratiqué pour ce qui était des vêtements et linges courants et quand il était utile, il se faisait avec deux fers en fontes et à semelle épaisse, mis et entretenus alternativement à température sur le dessus de la cuisinière. Puis les premiers fers électriques firent leur apparition.

 

Quand on a pu assister à toutes ces opérations, on comprend pourquoi à cette époque les draps et certains vêtements étaient changés moins souvent qu'aujourd'hui, et pourquoi l’hiver les fontaines n’étaient que peu fréquentées, quand elles n’étaient pas rendues hors service sous les effets du gel .


Le courrier parvenait à Saint Marcel via le bureau de poste de Vitrey. D'ailleurs, l' adresse postale d'un destinataire du village était rédigée sur l' enveloppe sous la forme :                                           

                              Monsieur ou Madame X
                                    à Saint-Marcel 
                               par VITREY SUR MANCE
                                    (Haute Saône)


Le facteur venait de Vitrey en vélo, puis en moto (la Poste était alors équipée de Motobécane 125 cc) pour assurer sa tournée au village mais aussi à Rosières et Noroy. Comme on peut le remarquer sur plusieurs photos de classes, le courrier au départ était remis par les habitants dans une boîte aux lettres scellée dans le mur de la façade de la Mairie-Ecole près de l'église.
 

Une des cartes postales des environs de 1900 de la page accueil de ce site laisse voir sur sa gauche une charette à bras et à trois roues avec laquelle le facteur de l'époque faisait sa tournée. 


 

Les jeunes du village se retrouvaient le soir sur les marches de l’église et passaient là leurs soirées à plaisanter. En dehors des mariages, de la fête au village, et celles des villages voisins, on peut dire que les jeunes n’avaient qu'assez peu de distractions sur place.

 

La fête au village était l’événement incontournable à ne pas manquer et qui justifiait que l’on appelle toute la proche famille à venir se réunir autour d’une bonne table, bien garnie et bien arrosée pour la circonstance.

 

Ce jour là, et en dehors des impératifs de soins aux animaux, il n’y avait pas de travaux, ni dans les champs, ni dans les vignes .

 

Les invités qui venaient des villages environnants arrivaient souvent avant la messe et se joignaient aux fidèles pour l'office. La fête au village, le deuxième dimanche de Mai, ne coïncidait pas avec la fête patronale : Saint Marcel, qui a évangélisé la région de Chalon Sur Saône, est fêté le 4 Septembre.


Tous arboraient leurs plus beaux habits, leurs plus riches dorures, et tenaient joyeusement la table jusque vers le milieu de l’après midi.

 

Ensuite on faisait ensemble « un petit tour au bal » dans l’attente du repas du soir .

 

Le café ne désemplissait pas de la journée, d’autant plus que le bal était installé devant, sur la place du village . On y retrouvait l’ambiance des dimanches mais il y avait encore plus de monde et de brouhaha .

 

« Le bal » arrivait démonté . La veille, on assemblait d’abord les panneaux de parquet ciré et lustré, les disposant côte à côte, les calant en hauteur pour assurer l’horizontalité et la stabilité de la piste de danse . Cette opération, qui s’avérait être la plus délicate au regard du dévers de la chaussée, était suivie de la pose des éléments des cotés . Puis, le tout était enfin recouvert d’une bâche utile à garantir les danseurs des humeurs de la météo .

 

Une entrée étroite débouchait immédiatement sur une sorte de petit couloir ou les danseurs recevaient sur la main la marque d’un tampon encreur en échange du paiement du prix de l’entrée . Cette marque, sur simple présentation au caissier ou à la caissière, permettait d’entrer et sortir du bal à volonté. Les plus jeunes mettaient un point d'honneur à dupliquer la marque de ce tampon, d'une main à l'autre avant le sèchage de l'empreinte, ce qui, en choisissant les moments de cohue, permettait d'entrer gratuitement.

 

A l’opposé, était installée une estrade qui recevait les musiciens et leurs instruments qui en règle générale se limitaient à un accordéoniste-chanteur, un saxophoniste et un batteur. Les airs les plus joués étaient ceux en vogue, on y reprenait du Tino Rossi, du Verchuren , etc, etc … et les danses se limitaient principalement aux valses, marches, pasodobles, un peu de slows et bien entendu aux traditionnels tangos qui départageaient les bons des mauvais danseurs. 

 

Bien entendu, à cette époque la musique n’était pas encore amplifiée .

 

Après le repas du soir, le bal était noir de monde et les danseuses attendaient l’invitation des hommes, assises sur le banc très inconfortable, une simple planche de bois peu large qui faisait le tour du barnum .

 

Entre deux séries de danses, et suivant qu’elles les inspiraient ou non, les hommes faisaient régulièrement des sorties en direction du café pour s’y rafraîchir .

 

Ce soir là, il était de bon ton de ne pas rouler ses cigarettes et d’acheter des « américaines » blondes « toute-faites » car quelques jeunes filles et jeunes femmes ne les dédaignaient pas quand elles leur étaient offertes .

 

Comme on ne parlait pas encore de tabagisme passif ni de pollution, on fumait partout, y compris sur le bal, voire même en dansant, et peut-être là plus qu’ailleurs encore . La cigarette donnait une contenance et une allure de cow-boy désinvolte aux plus timides, et aux filles, cette apparence de femme libérée qui allait bien avec la mini-jupe et les pulls moulants.

 

Pour « faire » encore plus cow-boy et l’ambiance nocturne aidant, certains jeunes cherchaient la bagarre à même le bal et y échangeaient déjà quelques coups avant de se faire sortir par quelques costauds du village qui assuraient le service d’ordre et parfois même avec un plaisir non dissimulé . Une fois dehors, les belligérants reprenaient leur combat pendant que la quiétude revenait progressivement sur la piste de danse . Certaines bagarres opposaient parfois les jeunes du village à d’autres venus des proches environs uniquement dans le but de gâcher la fête . Les anciens se rangeaient alors aux cotés de leurs jeunes et, au vu de certains gabarits, les coups portaient avec force et précision.

 

A partir de 1964/1965, les orchestres qui venaient à St Marcel offrirent un répertoire de danses plus modernes et on vit apparaître sur l’estrade un nouvel instrument, la guitare électrique avec ses amplificateurs de son . L’ambiance     "musette" côtoyait alors de nouveaux rythmes comme le twist et le rock qui faisaient alors fureur avec entre autres les fameux tubes du non moins fameux Johnny ; la batterie prenait un rôle de plus en plus important et ce fut le début de l’apparition d’une ou deux chanteuses-danseuses qui assuraient les répertoires féminins de Sheila et Sylvie Vartan . Les cheveux crêpés et en mini-jupettes, ces filles, qui donnaient l’impression de se produire en spectacle, ne laissaient pas indifférents les représentants et représentantes des générations précédentes, ni d’ailleurs quelques filles du village qui, dès les jours suivants, optaient pour leur coiffure et pour la mini jupe.


C'était aussi, et cela mérite d'être souligné, les années "yéyé" et la majorité des adolescents et adolescentes placardaient les posters de leurs idoles extraits de la fameuse revue "Salut les copains" sur les murs de leur chambre. C'est là, qu'ils se retiraient pour suivre chaque jour, de 17 à 19 heures, la célèbre émission de variétés d'Europe 1  " SLC-Salut les copains" grace à leur petit poste "transistor".

 

Le lendemain de la fête au village, tôt le matin, la vie reprenait son cours normal avec plus ou moins de difficultés pour certains ; le bal était démonté, et la fête était un bon souvenir pour tous.

 

Pourtant, et précisément à la fontaine, pendant plusieurs jours il était tout de même question de la tenue des jeunes sur le bal et plus encore de la façon de s'habiller des adolescentes du village qui choquait les grand-mères bien entendu.

 

Dans ces quelques années qui ont précédé 68, la mode de la mini-jupe, des pulls courts, des jeans moulants battait son plein et les garçons et les filles se promenaient facilement la main dans la main ; ce qui, parfois, pouvait heurter les consciences rurales non préparées à ce type de libération.


Toujours à partir de 64/65, on a pu assister à l'arrivée en nombre des cyclomoteurs au village. Les jeunes gens qui venaient de finir leur scolarité trouvaient rapidement un emploi dans les proches environs pouvaient s'en équiper dès l'âge de 14 ans. L'utilité pour eux de ces petits 50 cc n'était pas à démontrer et leur procurait de plus une liberté toute nouvelle : celle de pouvoir disposer librement d'un moyen de déplacement qui, et à tout point de vue, leur ouvrait de nouveaux horizons auxquels les générations "vélo" qui les précèdaient n'avaient pas eu aussi facilement accès. Ce fut l'époque des"jaunes", des "bleues" et des "Spéciale route" de la grande marque nationale Mobylette sans oublier les fameuses "BB sport" à trois vitesses "au guidon" ni la très belle "BB 104" de Peugeot.


Au moment de Pâques, au soir du jeudi Saint, les cloches de l'église devenaient soudainement muettes et on expliquait alors aux enfants qu'elles étaient parties à Rome. Les sonneries des angélus et des offices étaient remplacées par le son des "bruants" (les crécelles) que les gosses faisaient tourner en parcourant le village.


Le samedi, le même groupe se reformait et entreprenait de faire le porte à portes des habitations afin que, comme le voulait la tradition, les oeufs de Pâques leur soient remis en récompense de leurs efforts, surtout que pour "sonner" l'angélus du matin, ils devaient se lever tôt. A cette occasion, ils recevaient aussi quelques friandises bien méritées qu'ils se partageaient. Ce soir là, il y avait veillée pascale aux environs de 21 heures et les cloches revenaient à l'occasion de cette pieuse réunion.


L'oeuf symbolisait la résurrection du Christ et sa sortie du tombeau.


Une autre tradition, celles des "MAI", voulait que dans la nuit du 30 Avril au premier Mai, les jeunes gens célibataires du village déposent contre la façade des maisons des jeunes filles, un jeune arbre ou une grande branche qu'ils étaient allés couper dans les bois et que les filles, en retour, invitent le lendemain ou dans les jours suivants les garçon à prendre l'apéritif au domicile de leurs parents.


Cette nuit là, il règnait dans le village une agitation peu ordinaire, mais toujours silencieuse, en ce sens que profitant de l'occasion et de l'obscurité, les garçons prenaient dans les cours des maisons un peu tout ce qu'ils trouvaient, des bancs, des outils, des pots de fleurs, voir du matériel agricole, qui ne reparaisaient alors et aussi bizarement que les jours suivants. Bien entendu, les villageois préparaient les abords de leurs demeures et dépendances en conséquence et plaçaient parfois même une bouteille d'esau de vie, bien en vue, comme pour implorer l'indulgence des jeunes à l'égard de ce qu'ils n'avaient pas pu ranger en lieu sûr. D'autres, plus négligents ou qui ne se souvenaient pas qu'ils avaient fait de même dans leur jeunesse, n'appréciaient pas toujours la plaisanterie, voire dénonçaient un quelconque préjudice.   


La coutume des "Mai" n'est pas sans rappeler celle de la Sainte catherine qui a lieu le 25 Novembre pour fêter "les Catherinettes", c'est à dire les jeunes filles célibataires ayant atteint l'âge de 25 ans.

Le 15 Août, on célèbrait l'Assomption en tant que fête de la Vierge et la tradition voulait qu'une statuette de celle-ci soit confiée pour un an à une jeune fille du village qui réalisait alors chez elle un reposoir. Le prêtre, les enfants de choeur, et les fidèles accompagnaient cette statuette, en procéssion, jusqu'au domicile de la jeune fille. 


Ces traditions, pour la plupart, se sont perdues vers le milieu des années 60.

 

Assez paradoxalement, et encore en 1960, Noël pourtant jour de fête religieuse, n' était pas aussi fêté qu’actuellement . En tous cas il n’était pas l’occasion de festivités particulières telles qu’aujourd’hui le traditionnel repas de famille avec échange de nombreux cadeaux ; non, c’était un soir pour ainsi dire ordinaire, tout juste était il relevé par un petit repas pris à l’heure habituelle mais cependant amélioré, après la sempiternelle soupe de légumes qui réchauffait disait-on, par une volaille rôtie que l’on finissait le lendemain midi.

 

En attendant la traditionnelle messe de minuit, on décortiquait quelques marrons grillés ( des châtaignes) qui avaient été mis à griller sur une tôle (une tourtière) ou à même le dessus de la cuisinière puis on grignotait des noix et des noisettes parfois accompagnées d’un petit verre de cerises dans l’eau de vie.

 

Au début des années 60, on ne décorait rien, il y avait ni sapin, ni guirlandes, tout juste une petite crèche faite de bric et de broc par les grands-parents ou par les enfants. Les chaussures étaient déposée au pied de la cheminée, derrière la cuisinière et le Père Noël, après la messe de minuit, y déposait quelques friandises, voire une petite pièce, mais pas ou peu de jouets .


Puis, les couples les plus jeunes, aidés en cela par les médias et les publicités, donnèrent progressivement un caractère plus familial et plus festif à Noël avec l'organisation d'un réveillon digne de ce nom, avec au menu les huitres et la bûche, puis, sous  le sapin illuminé : les jouets pour les enfants, la poupée ou la boîte de Mécano et le "transistor" pour les plus grands.
 

Tout un symbole, celui de la modernité qui, en seulement dix années, venait de changer la vie du village, du tout au tout.   







 

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